Europe
AGE Platform et les soins palliatifs
Pour rappel, les principaux thèmes traités dans les groupes de travail d’AGE sont organisés autour de 4 axes principaux :
- Le vieillissement en bonne santé et dans la dignité
- Un environnement accessible à tous, mobilité, logements, numérique, services du quotidien
- Vieillissement actif, emploi des seniors, bénévolat, participation à la vie de la société
- Niveau de ressources compatible avec une vie sociale.
En dehors des travaux qui lui sont propres, AGE participe à des degrés différents à des projets initiés par d’autres organismes qui sont, bien évidemment, en lien direct avec la raison d’être de AGE
En 2017 le groupe de travail sur le vieillissement en bonne santé et dans la dignité a concentré ses travaux sur les soins longue durée et les soins palliatifs. Ce groupe accueillait des représentants de pays où l’euthanasie était déjà autorisée et pratiquée, comme la Belgique et les Pays-Bas, tandis que
d’autres participants venaient de pays où ni l’euthanasie ni le suicide assisté n’étaient alors autorisés.
Les étapes clés des travaux d’AGE sur les soins palliatifs ?
En mars 2018 un premier point d’étape des réflexions, échanges et travaux a été formalisé avec
- Une description aussi systémique que possible de tout ce que recouvrent potentiellement les soins palliatifs,
- Des recommandations fondées sur la continuité et la complémentarité entre soins longue durée et soins palliatifs, qui seront intégrées dans le projet In Advance (voir ci-dessous).
En janvier 2019 les acquis de cette première étape ont été confrontés avec les résultats des recherches menées par l’Université libre de Bruxelles dans le cadre d’un projet soutenu par l’Europe, le projet PACE et le groupe de travail a tenté de réfléchir sur les différentes pistes pour développer l’accessibilité aux soins palliatifs en Europe.
En 2022 AGE s’est engagé à participer au projet européen « In Advance ». Ce projet avait pour objectif d’analyser le bien-fondé de la mise en place de soins palliatifs dès qu’ils peuvent apporter une contribution pour les personnes prises en charge, centrés sur les besoins et attentes du patient. Ce projet est supposé ne pas prendre en compte les patients souffrant de cancer mais nombre de points évoqués s’appliquent tout aussi bien aux cancers qu’à d’autres pathologies. La personne en charge du projet au sein de AGE a commencé par recenser études, projets, publications dédiés aux soins palliatifs et à l’issue des enquêtes menées dans le cadre de ce projet a été chargée d’en établir la synthèse et les recommandations, ce qui a été fait avant l’été 2022. La Commission européenne a validé les conclusions et recommandations de ce document. Celles-ci sont dédiées aux organes politiques susceptibles d’être décideurs en la matière, en espérant que ces recommandations émises seront prises en compte par les Etats membres lors de la préparation des plans d’action en matière de santé qu’ils seront censés devoir présenter en 2024.
Que recouvrent les soins palliatifs, qui concernent-ils ?
En 2022 l’OMS définit les soins palliatifs ainsi :
Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face
aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle,
- par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision,
- par le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés.
Les soins palliatifs
- procurent le soulagement de la douleur et des autres symptômes gênants,
- soutiennent la vie
- considèrent la mort comme un processus normal, n’entendent ni accélérer ni repousser la mort,
- intègrent les aspects psychologiques et spirituels des soins aux patients,
- proposent un système de soutien pour aider les patients à vivre aussi activement que possible jusqu’à la mort,
- offrent un système de soutien qui aide la famille à tenir pendant la maladie du patient et leur propre deuil,
- utilisent une approche d’équipe pour répondre aux besoins des patients et de leurs familles en y incluant si nécessaire une assistance au deuil,
- peuvent améliorer la qualité de vie et influencer peut-être aussi de manière positive l’évolution de la maladie,
- sont applicables tôt dans le décours de la maladie, en association avec d’autres traitements pouvant prolonger la vie, comme la chimiothérapie et la radiothérapie,
- incluent les investigations qui sont requises afin de mieux comprendre les complications cliniques gênantes et de manière à pouvoir les prendre en charge.
Au terme de leurs réflexions qui se sont appuyées sur cette définition de l’OMS les membres du groupe de travail ont souligné les points suivants :
- Les soins palliatifs sont souvent compris de façon erronée. Contrairement aux idées reçues
- Ils ne se mettent pas en place que lorsque la mort est imminente, dans le cas de maladies incurables, mais concernent aussi des patients qui guériront.
- Les soins palliatifs ne s’adressent pas qu’aux personnes âgées mais aussi aux plus jeunes, même aux enfants.
- Ce n’est pas seulement la maladie qui est prise en charge mais le patient qui est au centre des soins, en tant que personne.
- L’humain n’est pas seulement un objet mais aussi un sujet qui prend part aux décisions le concernant.
- Les soins palliatifs sont une approche holistique
- considérant la personne comme un tout et pas comme un ensemble d’organes ;
- ce qui implique une prise en charge diversifiée et adaptée par des professionnels qui pensent « global » qui travaillent en coordination permanente, centrée sur le patient s’appuyant sur ses capacités et pas seulement sur ses besoins ;
- qui vise prioritairement à soulager la douleur mais apporte aussi un support psychologique et spirituel aux patients et à leur famille/entourage ;
- qui respecte la personne et la vie jusqu’au bout, qui retient tout le positif de et pour la personne ;
- qui permet au patient de vivre la dernière phase de sa vie de façon plus sereine et positive et constitue donc une alternative à l’euthanasie ou au suicide assisté.
- Les soins palliatifs font primer l’humain sur les finances, tout en permettant de générer des économies pour le système de santé
- par la réduction du nombre et du temps d’hospitalisation notamment en limitant les situations d’urgences, sources de prises en charge non programmées dans les hôpitaux,
- par une anticipation et une meilleure organisation des soins,
- par un recours aux compétences nécessaires dans une approche coordonnée, compétences médicales mais aussi paramédicales et de soutien.
- Les soins palliatifs peuvent être dispensés dans des lieux différents
- Etablissements spécialisés,
- Hôpitaux, avec services ou lits dédiés,
- Maisons de retraite,
- A domicile,
- Sans rupture de prise en charge lors du transfert du patient d’un lieu à un autre,
- par des équipes dédiées sur le lieu même ou par des équipes itinérantes.
Quelles sont les recommandations de AGE après analyse des différentes sources d’information et de l’implication de ses membres dans les réunions et projets cités et notamment le projet In Advance.
Le projet In Advance propose un nouveau modèle de soins palliatifs fondé sur une prise en charge précoce et des modes d’intervention personnalisés, destinés principalement aux personnes âgées souffrant de pathologies chroniques complexes. Les résultats de ce projet veulent s’inscrire dans une perspective à long terme, adaptés à des contextes culturels et des parcours de soins différents. Ils ont aussi pour objectif de diminuer l’impact socio-économique des maladies chroniques par leur efficience.
Le projet a impliqué 11 partenaires : centres de recherche, centre de soins. 6 pays ont participé : Espagne, Grèce, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Portugal, France. AGE Platform a apporté son expérience de l’ensemble des pays européens
Une première étape a consisté à identifier avec les partenaires les problématiques de terrain de façon à avoir une base consolidée commune pour élaborer des pistes de solutions. En parallèle, AGE a lancé une consultation auprès de ses membres. 26 réponses exploitables ont été reçues, provenant de 17 Etats membres. Le groupe de travail de AGE « vieillir en bonne santé et dans la dignité » a collaboré avec la responsable du projet au sein de AGE pour identifier les principales difficultés liées aux soins palliatifs en Europe et élaborer des recommandations.
Les principales difficultés citées et identifiées au niveau européen sont :
- la difficulté d’avoir accès aux soins palliatifs, par manque d’offres et de ressources dédiées,
- le manque d’information du public et de formation des professionnels de santé,
- l’absence d’intégration des soins palliatifs dans les soins longue durée, ce qui entrave les synergies nécessaires,
- le système de santé n’est pas centré sur le patient et la recherche de son bien-être, ce qui fait que ses besoins sont identifiés tardivement et cela impacte la charge des soignants,
- le manque de recours aux soins palliatifs en temps utile entraîne des surcoûts pour le système de santé avec notamment un surplus d’hospitalisations en urgence, ce qui désorganise les services.
Les principales recommandations formulées sont regroupées en 6 groupes :
1 – Investir dans une information et une éducation à ce que sont les soins palliatifs
- Sensibiliser et informer le grand public pour réduire les tabous autour de la mort et faire connaître ce que représentent et ce qu’apportent les soins palliatifs aux patients et à leur entourage en fonction de leur situation propre ;
- Informer au plus tôt et mieux les personnes âgées, leurs familles, leurs aidants, leurs soignants des possibilités et options en les aidant à détecter et exprimer leurs besoins ;
- Intégrer les soins palliatifs dans la formation de tous les soignants avec des formations adaptées à leurs responsabilités de soignants, y compris les médecins de ville, les personnels de maisons de retraite, en insistant sur les caractéristiques de cette démarche centrée sur le patient et son bien-être ainsi que sur sa famille, sans pour autant négliger les aspects physiques et médicaux, notamment la prise en charge de la douleur, mais sans acharnement thérapeutique.
- – Donner la parole au patient et à ses proches
- Ecouter les patients, susciter et développer leur participation et celle des aidants dans les processus de décision en vue de définir des processus personnalisés et adaptés aux besoins du patient.
- Octroyer un soutien psychologique et financier aux aidants afin de prévenir les risques psychologiques ultérieurs, après le décès de leur proche.
- – Coordonner et intégrer les approches santé et soins
- Développer un système de santé qui assure la coordination entre les professionnels de santé et de soins.
- Instaurer une analyse systématique des besoins des patients qui pourraient bénéficier de soins palliatifs au début de leur maladie, dans un processus multidisciplinaire et non pas laissé à la décision d’un seul.
- – Mettre en œuvre lois, règles, guides de pratiques et indicateurs
- Pour faciliter et soutenir la mise en pratique et le développement des soins palliatifs,
- Pour créer des mécanismes d’évaluation et de régulation qualitative et quantitative de la mise en œuvre des soins palliatifs
- – Analyser les coûts et bénéfices liés aux soins palliatifs
- Afin de vérifier et de démontrer les gains pour le confort des patients mais aussi financiers réalisés tout au long du processus, lorsque les patients bénéficient des soins palliatifs le plus tôt possible dans leur parcours de soins.
- – Créer une plateforme européenne d’échanges
- Qui soit un centre de ressources diffusant informations et bonnes pratiques
- Pour promouvoir les échanges entre les principaux acteurs et les réseaux impliqués
- Pour faciliter le partage des bonnes pratiques
Comment se situe la France par rapport à ces recommandations ?
Il faut rappeler que le premier centre de soins palliatifs a été créé en 1842 par Jeanne Garnier à Lyon, pour apporter, jusqu’à leur décès, des soins aux plus démunis, les « incurables délaissés ». Une vingtaine d’années plus tard s’est ouverte une deuxième maison d’accompagnement de la fin de vie, à Paris, toujours connue aujourd’hui comme la « maison médicale Jeanne Garnier ».
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Si nous essayons de comparer la situation en France au regard des recommandations de AGE :
Information et formation
- Les Français sont peu informés de ce que sont les soins palliatifs et en ont une idée erronée. Il y a un déni de la mort dont on ne veut pas parler.
- La formation des médecins aux soins palliatifs est une lacune flagrante : quelques dizaines d’heures dans des cursus de plusieurs années. Ne parlons pas des autres professionnels de santé et professionnels du paramédical.
Le patient au centre de soins intégrés
- La France compte plus de 20 départements sans unité de soins palliatifs et se situe au 22ème rang en Europe pour l’accès à ces soins d’après un classement cité par la SFAP (Société français d’accompagnement en soins palliatifs) retenant 20 indicateurs quantitatifs et qualitatifs (environnement, ressources humaines, accès aux soins, qualité des soins, niveau d’engagement communautaire). Dans certains départements les équipes fonctionnent a minima, certaines sans médecins.
- 320 000 patients nécessiteraient une prise en charge palliative en France. Moins d’un tiers, soit 100000 personnes en bénéficient selon la SFAP
- Lorsque les soins palliatifs sont disponibles, par contre, et ils peuvent l’être comme dit précédemment dans des unités spécialisées, ou assurés par des équipes mobiles au sein des services hospitaliers, dans des EHPAD, à domicile, la qualité de ces soins situe la France au 5ème rang dans ce même classement.
- Les soins palliatifs sont trop souvent vus comme une prise en charge de dernier recours et une « mauvaise nouvelle ». A ce stade, les patients sont alors dans des états souvent compliqués. Il serait beaucoup plus efficient d’intégrer les patients dans une démarche de soins palliatifs beaucoup plus en amont.
Lois, guides de bonnes pratiques
- Le droit d’accéder aux soins palliatifs a été institué en juin 1999. Plusieurs lois ont traité de la fin de vie en 2002, en 2005 : loi Léonetti, en 2016 : loi Claeys-Leonetti.
- Depuis cette date 5 plans nationaux se sont succédés, le dernier sur la période 2021-2024. Le plan 2015-2018 est remarquable sauf que … de la théorie à la pratique il y a un fossé, peut-être même un ravin.
- Un nouveau plan est prévu en même temps que la loi sur l’aide active à mourir annoncée pour le mois de mai. …Vu l’état du système de santé français, la pénurie de soignants et le budget prévu, l’objectif aura du mal à être tenu. Pourtant si tout soignant avait un minimum de formation la situation pourrait s’améliorer. Mais l’expérience montre que « tous les pays qui ont légiféré sur une aide active à mourir se sont engagés à développer les soins palliatifs en même temps mais ces promesses, une fois la loi votée, n’ont pas toujours été tenues.
Analyse des coûts et bénéfices,
- Le système de tarification à l’activité est mal adapté à cet accompagnement, trop complexe pour s’inscrire au rang des activités « rentables » s’inquiétait un rapport sénatorial en 2021.
Plateforme européenne d’échanges
- En France on ne nous cite pas d’exemple de soins palliatifs à l’étranger que nous pourrions considérer comme de bonnes pratiques
- Le Président de la République avait dit vouloir s’inspirer du modèle belge de l’euthanasie mais a opté pour une conception « à la française », alliant finalement euthanasie et suicide assisté dans un cadre donné
- Il se dit souvent que nombre de Français iraient en Belgique ou en Suisse pour finir leur vie.
Or sur les deux années 2020 et 2021, 79 morts programmées toutes nationalités étrangères confondues ont été déclarées en Belgique, selon les statistiques officielles.
- Et en ce qui concerne le suicide assisté, le chiffre de Français partis en Suisse est quasiment stable depuis 5 ans. En 2021 il était de 45 Français.
Nicole Legrain
Union des anciens du groupe BP – AGE France
Membre du groupe de travail sur les soins alliatifs
le 11-03-2024
Lien pour accéder au document InAdvance : https://www.inadvanceproject.eu/project-outcomes